Saison 2019 - Retour sur une tempête parfaite
Végétal •La saison 2019 a mis le maïs et les agriculteurs à rude épreuve avec des dates de semis historiquement tardives, un déficit de chaleur, un gel mortel, du vent, de la neige… Les rendements sont sous la moyenne mais ce sont surtout l’humidité et le poids spécifique qui ont retenu l’attention. Revenons sur le déroulement des événements qui ont marqué l’année pour tenter d’expliquer le résultat final.
ACTE 1 - DES DATES DE SEMIS TARDIVES ET DES SOLS FROIDS
Le mois de mai a été remarquablement frais, humide et nuageux. Selon Environnement Canada, on parle de 100 à 200 UTM de moins que la normale à l’ouest de Trois-Rivières et Drummondville. À l’est, le déficit est moins prononcé avec 50 à 100 UTM de moins. Par conséquent, les sols sont restés froids et humides. Ils ne voulaient pas sécher, surtout les sols lourds avec abondance de résidus en surface.L’attente a été longue pour certains producteurs, qui n’ont commencé à semer qu’à la fin mai. La Financière agricole a même prorogé deux fois la date finale des semis de maïs pour aller au 10 juin dans les zones de 2700 UTM et plus. Pareille situation n’a jamais été vécue; même 2011 a été moins extrême.
On estime à 80 % les surfaces semées en maïs entre les 22 et 30 mai, environ 10 % ayant été semées entre le 1er et le 10 juin. Quelques chanceux ont pu semer quelques acres autour du 8 et du 9 mai. Conséquence : les compagnies de semences et détaillants ont échangé des milliers de poches de maïs et parcouru des milliers de kilomètres pour abaisser les UTM des hybrides de maïs livrés chez les producteurs. Certains d’entre eux du sud-ouest du Québec ont semé des hybrides de 2400 ou 2500 UTM alors qu’ils se situent habituellement autour de 3000 ou 3100 UTM; du jamais vu !

ACTE 2 - UN BEAU MOIS DE JUIN, MAIS UNE PRESSION INTENSE DES INSECTES DE SOL
Le mois de juin a été relativement clément dans l’ensemble. Cependant, on a pu observer les contrecoups des conditions de semis plus que passables par endroits. Certains producteurs n’ont pas eu le choix que de ‘forcer’ un peu pour semer. Il n’était pas rare de voir des sillons de semis qui ne s’étaient par refermés correctement, provoquant une levée inégale du maïs surtout en semis direct en sol lourd avec beaucoup de résidus en surface. L’absence de chaleur et les sols froids ont aussi ralenti la croissance et le développement du maïs. Le passage du stade de développement d’une feuille (V1) à quatre feuilles (V4) a été très lent. Certains plants de maïs n’ont même jamais émergé du sol, victimes du froid. On a pu voir des grains non germés et des plants dits en tire-bouchon, symptôme de l’absorption d’eau froide.Autre conséquence du printemps frais et humide : les insectes de sol en ont profité. Quand un plant de maïs peine à émerger et à se développer, il offre une grande fenêtre de vulnérabilité à des insectes comme le ver fil-de-fer, les larves de mouches, le ver blanc ou les punaises. On a pu observer une recrudescence de dommages dus à des vers fil-de-fer, surtout dans des sols légers ayant reçu du fumier en abondance au cours des dernières années ou ayant été en prairie dans le passé.
Sillons mal refermés, grains non germés, dommages provoqués par des insectes… La population a baissé dans certains champs. Au lieu d’atteindre 35 000 plants/acre, il n’est pas rare de compter 28 000 ou 29 000 plants/acre.
ACTE 3 - UN MOIS DE JUILLET CHAUD ET SEC
Au moins de juillet, les températures ont été supérieures aux normales de saison (1 à 3 degrés de plus) avec de faibles précipitations dans l’ensemble (40 à 60 % par rapport aux normales). On a connu une première vague de chaleur entre les 2 et 6 juillet, de quoi faire du bien aux cultures qui accusaient des retards de 2 à 3 semaines. Disons que l’essentiel des accumulations d’UTM se sont faites en juillet. Certaines zones comme Montmagny-L’Islet ou la Montérégie-Ouest ont même connu un épisode de sécheresse, ce qui a pu provoquer un fort ralentissement de la croissance du maïs. On veut selon l’adage que le maïs soit à la hauteur des genoux le 4 juillet (‘knee-high by the Fourth of July’) mais dans bien des cas, on n’y est parvenu que le 15 juillet.Les croix sont sorties en moyenne entre le 2 et le 10 août au lieu de la période du 20 au 25 juillet habituelle. Les chanceux qui ont pu semer les 8-9 mai ont vu des croix dès le 30 juillet. Rappelons que le maïs tend à récupérer une partie de son retard, et ce, pour deux raisons. D’une part, un semis du 1erjuin se développera forcément dans des conditions plus chaudes qu’un semis du 8 mai, surtout en 2019. Il passera donc du stade d’émergence au stade de sortie des croix en moins de jours, sans pour autant rattraper complètement son retard par rapport au semis du 8 mai. D’autre part, il est prouvé que les besoins en degrés pour atteindre un certain stade ont tendance à diminuer quand on sème tard (effet de la photopériode). En bref, il existe un rapport de trois pour un : trois semaines de retard du semis signifient une semaine de retard de la sortie des croix.

La pollinisation s’est par ailleurs déroulée dans de bonnes conditions, sauf pour les secteurs qui ont manqué d’eau. En ouvrant les épis en septembre, on pouvait constater que la majorité d’entre eux étaient finis jusqu’au bout. Si les bouts n’étaient pas finis (tip-back corn), il s’agissait probablement d’avortement d’ovules après fécondation et non d’ovules non fécondés. Ces avortements sont dus à une réaction naturelle à un stress. Le plant de maïs sacrifie les grains du bout (les derniers fécondés) pour assurer la capacité reproductrice d’un maximum de grains de la base et du centre de l’épi. Bref, c’est une réaction d’adaptation à un ou des facteurs limitants (eau, azote, autres nutriments). Une population trop élevée par rapport aux ressources disponibles peut aussi être à l’origine du stress.
ACTE 4 - UN MOIS DE SEPTEMBRE NUAGEUX ET FRAIS AVEC UNE FINALE GLACIALE
En mai, on se disait tous « Ça va prendre un beau moins de septembre » et « On ne veut pas de gel avant le 10 octobre ». Malheureusement, on a eu exactement l’inverse : un mois de septembre catastrophique et des gels à répétition entre le 16 septembre et le 5 octobre. En 2017, la saison avait été sauvée en définitive par un mois de septembre caniculaire; cette fois, ça n’a pas été le cas.Les premiers semis de maïs et les hybrides très hâtifs ont commencé à denter vers le 10 septembre (comme en 2017), tandis que les derniers ou les plus tardifs semis de maïs ont commencé à le faire vers le 20 septembre. La ligne de lait a ensuite progressé très lentement. Les premiers points noirs sont sortis comme prévu vers le 10 octobre, et les derniers autour du 20 octobre; il faut compter de 30 à 35 jours entre le stade début denté et le stade point noir. Les chantiers d’ensilage ont par consé-quent été décalés d’un bon deux semaines, avec de bons rendements en général.
Vers 6 heures du matin le 3 octobre, Drummond-ville a connu son premier - 2,0 °C, Lanoraie - 2,4 °C et Scott - 2,4 °C. Àla même heure 48 heures plus tard, on observait - 3,0 °C à Saint-Roch-de- l’Achigan, - 2,2 °C à Pierreville et - 1,9 °C à Saint-Hyacinthe… Catastrophe !
Lorsque le gel a frappé, les champs les plus avancés en étaient à 80 ou 90 % de ligne de lait. Si le gel était descendu à ce moment jusqu’à l’épi, on pouvait anticiper environ 5 % de perte de rendement à cause d’un grain un peu plus léger. Les champs les moins avancés en étaient à 50 % de ligne de lait, avec des pertes potentielles de rendement de 5 à 10 % pour la même raison, à savoir un grain beaucoup plus léger. Pour un rendement de 10 t/ha, cela équivaut à une tonne de moins en partant. Dès le 15 octobre, alors que les feuilles passaient brutalement du vert foncé au jaune foncé, on pouvait observer des grains ratatinés qui bougeaient sur l’épi, synonymes de poids spécifique très léger. Dans le meilleur des cas, le gel a pu seulement ‘brûler’ les feuilles du haut, affectant la translocation des sucres (les réserves contenues dans les tiges seront alors sollicitées). Dans les pires cas, le gel a pu provoquer la mort du plant et l’apparition prématurée du point noir alors qu’il y avait encore un peu de lait dans le grain. L’attache de l’épi est devenue jaunâtre et molle, la translo-cation des sucres a été interrompue; c’est ‘game over’, plus rien n’entre ni ne sort du grain.
Comme une majorité des champs de maïs ont atteint leur point noir dans le courant du mois d’octobre de manière naturelle ou forcée, la courbe de séchage qui s’en est suivie a été beaucoup plus lente. En effet, les jours raccourcissent et les épisodes de temps frais et pluvieux se multiplient à la fin octobre et en novembre, offrant des conditions plus que mauvaises au séchage naturel du grain dans le champ. C’est la raison pour laquelle on veut un point noir le 1eroctobre, et non le 10 ou encore moins le 20 octobre.
ACTE 5 - DU VENT ET DE LA NEIGE
Les vents forts du 1ernovembre ont couché de nombreux champs de maïs à terre; ce dernier ne peut résister à des vents de 80 à 100 km/h. Mais avant la tempête, on pouvait déjà constater à quel point les tiges du maïs étaient fragiles. C’est le gel qui en a été la cause. En effet, quand la température est descendue sous le point de congélation à une, voire deux reprises au début d’octobre, les feuilles situées au-dessus de l’épi ont été détruites. Cependant, dans la plupart des cas, le gel n’a pas atteint l’attache de l’épi ni la tige, qui sont restées vertes. Or la demande en amidon par l’épi à ce moment est encore forte. La tige, qui sert d’organe de stockage temporaire à l’amidon avant que l’épi ne soit formé, a donc été fortement sollicitée pour assurer la finition du grain; c’est ce qu’on appelle la cannibalisation de la tige. Une tige creuse et sèche comme de la paille se fait facilement infecter par des maladies comme la fusariose (coloration rose des tissus) ou l’anthracnose (coloration brune des tissus). La tempête du 1ernovembre n’a fait que précipiter un phénomène enclenché un mois plus tôt.La verse racinaire, quant à elle, a révélé un enracinement très superficiel du maïs. Rappelons que le travail du sol au printemps s’est fait dans des conditions humides et fraîches, ce qui a pu causer du lissage et de la compaction localisée au niveau du sillon empêchant le système de racines de descendre en profondeur. Des semis trop en surface (moins de deux pouces de profondeur) ont aussi pu contribuer à la fragilité du système racinaire.
BILAN
Trois composantes font le rendement : le nombre d’épis à l’acre, le nombre de grains par épi et le poids individuel de chaque grain. On peut globalement considérer que le nombre de grains par épi a été pratiquement optimal puisque la pollinisation s’est bien déroulée dans l’ensemble contrairement à 2018 (acte 3). En revanche, ni la population (acte 2) ni le poids du grain n’ont été optimaux (acte 4). Ajoutez à cela des hybrides plus hâtifs ayant moins de potentiel (acte 1) ainsi que des pertes au sol dues à la tempête de vent et à la neige (acte 5), et vous obtenez des rendements très décevants et une qualité très médiocre.L’année 2019 pourra alimenter les études sur les effets de la date des semis sur le rendement et le poids spécifique du maïs. Une étude datant de 2007 réalisée en Montérégie avait conclu que les pertes de rendement associées aux semis tardifs avaient été de 15 % pour des semis effectués le 1erjuin et de 40 % pour des semis effectués le 15 juin. L’étude avait en outre démontré une réduction de 1 kg/hl de poids spécifique par semaine de retard du semis. Une autre étude menée en 2002 sur la ferme de recherche de Monsanto Canada à Saint-Hugues avait montré une baisse de rendement de 14 % et une baisse du poids spécifique de 4 kg/hl entre un semis du 7 mai et un autre du 28 mai. Plus récemment, en 2014, année du dernier grand gel hâtif dès septembre, le poids spécifique avait baissé de 0,25 kg/hl par jour de retard en mai, passant de 66,5 à 61 kg/hl entre le 7 et le 29 mai (données Monsanto Canada, Québec seulement). Le RGCQ avait aussi conclu cette année-là que plus les grains d’un hybride étaient humides au 19 septembre (date du gel), moins bon était son poids spécifique à la récolte.La saison 2019 est maintenait derrière nous. Amorçons 2020 avec optimisme. Sur cette note positive, je vous souhaite une bonne saison !
Vincent Chifflot, agr.
Bayer Crop Science