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Aspects légaux d’un transfert d’entreprise agricole

Porc •

Dernièrement, à la suite d’une conférence que nous avons donnée pour le Centre régional d’établissement en agriculture (CRÉA) de Chaudière-Appalaches sur les aspects légaux d’un transfert d’entreprise agricole, nous avons été approchées par Agri-Marché pour vous écrire quelques chroniques à ce sujet.

C’est donc avec plaisir, qu’à même cette parution et au cours des prochaines, nous vous entretiendrons, de façon conviviale et simple, sur différents volets légaux d’un transfert d’entreprise agricole. Dans cet article-ci, nous aborderons les sujets suivants :

  • Différentes formes juridiques sous lesquelles une entreprise peut être exploitée;
  • Gel de la valeur de l’entreprise;
  • Donation de l’entreprise;
  • Clause de protection du don.
     

DIFFÉRENTES FORMES JURIDIQUES

Selon les règles du droit québécois, il existe différents types d’entreprises. Toutefois, dans le milieu agricole, il existe trois formes plus courantes.

Tout d’abord, il y a les entreprises individuelles, où un individu exploite seul sous son nom personnel. À la fin de l’année civile, cet individu, comme toute autre personne physique, produit une seule déclaration de revenus. Tous ses revenus et dépenses, incluant ceux de son entreprise agricole, sont comptabilisés à son nom personnel. Dans le cas d’une entreprise individuelle, les biens de cette entreprise appartiennent à l’individu, au producteur agricole personnellement.

Ensuite, il y a les sociétés par actions (SPA), mieux connues sous le terme « compagnie ». Dans le cas des sociétés par actions (SPA), les biens de l’entreprise appartiennent à la SPA concernée et non pas aux individus. Ce que les individus possèdent, ce sont les actions qui sont émises par la SPA. La valeur des actions varie en fonction des biens possédés par la SPA et des dettes que cette dernière doit à ses créanciers et à ses fournisseurs. Dans ce cas-ci, à la fin de l’année civile, chacun des actionnaires de la SPA produit sa déclaration de revenus personnelle et la SPA, de son côté, doit également produire une déclaration fiscale à la fin de son année financière. Fait à noter, contrairement aux particuliers, la fin d’année financière pour la SPA n’est pas obligatoirement le 31 décembre. Légalement, la SPA a un patrimoine distinct. En termes clairs, la SPA est considérée comme étant une personne à part entière, totalement indépendante et différente des actionnaires. Par conséquent, si elle fait faillite, à moins que les actionnaires aient cautionné les dettes de la SPA, ces derniers ne sont pas affectés par la faillite.

Ensuite, il y a les sociétés en nom collectif, souvent appelées SENC. Pour tenter d’expliquer simplement les SENC, nous pourrions dire qu’elles sont un mélange entre une entreprise individuelle et une SPA. La SENC n’émet pas d’actions. Ce que les individus détiennent, ce sont des parts dans le capital social de la SENC, étant de la participation. La SENC ne fait pas de déclaration fiscale indépendante comme le fait une SPA. Ce sont les associés, les individus personnellement, qui, selon leur pourcentage de détention de la participation, s’imposent sur les revenus. Les biens font partie du patrimoine de la SENC.

Il y a longtemps que nous pratiquons dans le domaine agricole, et nous n’avons jamais vu de transfert à la relève qui se fasse d’un particulier directement à sa relève. Il y a toujours, au préalable, un transfert par le particulier à une SPA ou à une SENC.

Lors d’un transfert d’entreprise agricole, dans la majorité des cas, c’est votre comptable et votre fiscaliste qui, après discussions avec vous, vous informent sur la meilleure structure légale et juridique à adopter en fonction de votre réalité, de vos objectifs et de votre situation.
 

GEL DE LA VALEUR DE L’ENTREPRISE

Lorsque des particuliers désirent intégrer une relève dans leur entreprise agricole, il y a différentes façons de faire, mais en règle générale et pour les besoins du présent texte, nous pouvons résumer cela de deux manières. Soit on gèle la valeur de l’entreprise agricole et on intègre la relève par la suite, sans aucune donation, soit on fait donation d’une partie ou de la totalité de l’entreprise à la relève.

Mais que veut dire « geler » la valeur de l’entreprise ? Tout d’abord, il faut savoir que, pour geler la valeur d’une entreprise, il faut posséder une société par actions (SPA), appelée communément une « compagnie ». Comme nous l’avons établi précédemment, une SPA émet des actions qui sont détenues par les actionnaires de la SPA, en général des individus. Il y a différentes catégories d’actions dans une SPA et, souvent, chacune de ces catégories d’actions a des caractéristiques qui lui sont propres. Dans une entreprise agricole qui vaut 1 M$, ce sont ses actions ordinaires, souvent de catégorie A, qui valent 1 M$. Les actions ordinaires sont les actions qui donnent à leur propriétaire le droit de voter, donc de prendre des décisions pour la SPA, de recevoir des dividendes, soit les surplus de la SPA, mais surtout, et c’est ce qui fait qu’elles valent autant, ce sont des actions participantes. Elles donnent à leur propriétaire le droit de recevoir le reliquat des biens de la SPA. En termes clairs, le reliquat des biens, c’est ce qui reste une fois que tous les biens de la SPA sont liquidés, notamment à la suite de la vente de la totalité des biens de l’entreprise, et que tous les créanciers et tous les fournisseurs ont été payés.

Pour geler la valeur de ces actions ordinaires, il faut que la SPA puisse émettre des actions qu’on dit « de roulement » ou « de cristallisation ». Les actions de roulement ou de cristallisation, bien que cela ne soit pas interdit par la loi, donnent rarement, voire jamais, le droit de voter. De plus, et c’est là que le gel s’opère, ces actions ne donnent plus le droit de recevoir le reliquat des biens de la SPA. Tout ce qu’un actionnaire peut exiger au moment du rachat de ses actions de roulement ou de cristallisation, outre les versements de dividendes lorsque de tels dividendes sont déclarés, c’est de recevoir une somme correspondant à la valeur de rachat de ses actions, telle que cette valeur aura été établie au moment de leur émission, rien d’autre en surplus.

À titre d’exemple, la démarche juridique à réaliser pour geler la valeur d’une entreprise qui vaudrait 1 M$ serait d’échanger la totalité des actions ordinaires contre des actions de roulement ou de cristallisation. Ainsi, la valeur de l’entreprise, soit le 1 M$ que valent les actions ordinaires, serait transférée dans les actions de roulement ou de cristallisation qui seraient alors émises en échange. À la suite de cette opération, si nous devions liquider la SPA, on vendrait tous ses biens, fonds de terre, animaux, quotas, etc. Avec les sommes recueillies, nous paierions toutes les dettes de la SPA et, théoriquement, il nous resterait 1 M$. On utiliserait cette somme pour racheter toutes les actions de roulement ou de cristallisation alors émises et en circulation à leur détenteur respectif, qui récupérerait ainsi la valeur de l’entreprise.

Évidemment, on n’en reste pas là, puisque le but de faire un gel dans le cas présent est d’intégrer la relève dans l’entreprise. Pour ce faire, la relève et les actionnaires déjà en place, selon le cas, souscriront alors à de nouvelles actions ordinaires. Au moment de leur émission, ces actions ordinaires ne vaudront pas plus que la somme pour laquelle elles auront été souscrites, puisque la valeur totale de l’entreprise au moment du gel sera alors due aux actions de roulement ou de cristallisation. Par contre, par la suite, la plus-value que prendra l’entreprise appartiendra à la relève et à ceux qui auront souscrit aux actions ordinaires, puisque, on se le rappelle, les actions ordinaires ont droit au reliquat des biens, soit ce qu’il reste une fois qu’on liquide la SPA. Les actions de roulement ou de cristallisation, quant à elles, ne vaudront jamais plus que la valeur de rachat pour laquelle elles ont été émises au moment du gel de la valeur de l’entreprise. Il est certain par contre que si l’entreprise perd de la valeur au lieu d’en gagner, en plus du fait que les détenteurs d’actions ordinaires ne recevraient rien en cas de liquidation de la SPA, il est probable également que les détenteurs des actions de roulement ou de cristallisation ne récupéreraient pas la pleine valeur de rachat de leurs actions.

Dans le cas d’un gel comme celui-ci, il n’y a pas de don fait par les propriétaires de l’entreprise à leur relève. Les propriétaires conservent la valeur de l’entreprise à une date donnée, à même leurs actions de roulement ou de cristallisation. Certains propriétaires seront réticents à donner le plein contrôle à leur relève; dans ce cas, on peut également leur émettre des actions qu’on dit justement « de contrôle ». Ces actions font en sorte que leur détenteur aura des droits de vote majoritaire, sans participer à la plus-value de l’entreprise. Ils gardent ainsi le pouvoir décisionnel quant aux orientations majeures de l’entreprise.
 

DONATION DE L’ENTREPRISE

Dans le cas d’entreprises familiales où la relève est formée des enfants des propriétaires, le transfert se fera très souvent, en partie ou en totalité, par donation. Contrairement au gel, il est possible de faire une donation, qu’on soit en présence d’une société par actions (SPA) ou d’une société en nom collectif (SENC). On fait alors une donation d’actions ou une donation de participation. L’inquiétude pour les parents, dans le cas d’une donation, c’est le risque que la relève cesse de pratiquer l’agriculture, se départisse de l’entreprise ou des biens qui la composent et empoche tous les profits. Cela crée une frustration pour les frères et soeurs qui voient la relève s’enrichir de façon injustifiée et, surtout, une très grande déception pour les parents qui voient la fin de l’entreprise où ils ont mis tant d’acharnement et d’années de travail. Leur entreprise s’envole ainsi au bénéfice d’un seul de leurs enfants, sans qu’eux-mêmes ou leurs autres enfants puissent en tirer profit.
 

CLAUSE DE PROTECTION DU DON

Dans les cas d’une donation, nous suggérons fortement une clause de protection du don, aussi appelée « entente de fidélité ». Dans cette entente, les parties établissent la valeur des actions ou de la participation qui est donnée à la relève, reconnaissent qu’il y a effectivement eu un don et prévoient la remise d’une somme d’argent par la relève aux parents donateurs, selon un échéancier décroissant, et en fonction de la survenance d’évènements précis.

Ainsi, la clause de protection du don peut s’appliquer dans diverses situations, dont celles où la relève revend en tout ou en partie ses actions ou ses parts dans l’entreprise ou en cas de décès de la relève. Elle peut également s’appliquer si la relève vend tous les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise ou une partie substantielle de ceux-ci, ou si la relève devient inapte et qu’elle ne peut plus s’occuper de l’entreprise. Bref, dans tous les cas qui feraient en sorte que la relève pourrait profiter de la valeur du don, sans avoir vraiment exploité l’entreprise pour une durée déterminée entre les parties. La clause de protection du don perdurera malgré le décès des parents bénéficiant de cette clause, les sommes étant alors payables à leur succession respective.

La clause de protection du don établit que pour les 10, 15, 25 prochaines années, s’il y a revente ou retrait des affaires de la relève, cette dernière devra redonner une somme d’argent à ses parents, montant qui varie en fonction de l’année où l’évènement se produit. Le nombre d’années pendant lesquelles s’appliquera la clause de protection du don dépendra des ententes que prendront les parents avec leur relève. Ce nombre d’années varie grandement d’un cas à l’autre, en fonction de la valeur du don, ainsi qu’en fonction de plusieurs raisons personnelles à chacun.

Ultimement, le but de cette clause est de faire en sorte que la relève ne profite pas, sans trop d’efforts, des avantages financiers que ses parents auront mis toute une vie à construire. Les parents qui travaillent fort toute leur vie pour bâtir une entreprise sont très heureux et très fiers aussi de pouvoir transférer à leur relève leur entreprise agricole, en espérant ainsi la voir se perpétuer et prospérer. Mais, la vie étant ce qu’elle est, les parents ne veulent pas non plus que leur relève abandonne tout, décide de faire encan et empoche toute la valeur de l’entreprise, sans avoir investi temps et argent pour récolter les sommes qu’elle empocherait pour ainsi s’enrichir. C’est frustrant pour les parents, mais également pour les autres membres de la famille.

Évidemment, si la relève veut transférer des actions ou des parts à une tierce personne, à un nouvel associé ou à sa conjointe, et que les parents y consentent, il est toujours possible de faire en sorte que la clause de protection du don ne s’applique pas pour cette transaction en particulier. Lorsque les parties s’entendent, il y a toujours possibilité de passer outre les ententes établies par le passé.
 

CONCLUSION

Nous avons tenté, en quelques lignes, de faire un survol du sujet. Bien entendu, chaque point pourrait être approfondi et faire l’objet d’un article en soi. Toutefois, ce que nous voulons, aux termes des quelques articles que nous vous écrirons, c’est tenter de vous expliquer en langage clair différents volets d’un transfert d’entreprise agricole, en touchant au plus de sujets possible qui vous concernent.

Voici un aperçu des sujets que nous aborderons dans les prochains articles :
 
  • Libération des cautionnements;
  • Garantie hypothécaire pour les vendeurs;
  • Zonage agricole;
  • Planification personnelle;
  • Convention entre actionnaires.


Entre-temps, pour tous vos besoins juridiques, n’hésitez pas à consulter notre équipe!

Site web : www.notairesbal.com

Saint-Henri : 418 882-3456
Lévis : 418 834-5400
Saint-Anselme : 418 885-4400


ME JOSIANNE ASSELIN
Notaire
Propriétaire associée de l’étude
Brochu Asselin Lajeunesse

PATRICIA AUBIN
Technicienne juridique
Directrice adjointe de l’étude
Brochu Asselin Lajeunesse

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